La gestation est une période de grands changements physiologiques pour la jument, et une alimentation adaptée est cruciale pour sa santé, et celle de son poulain.
Au cours des derniers mois de gestation, la croissance et le développement du fœtus deviennent une priorité pour l’organisme de la jument. Si son alimentation ne couvre pas ses besoins, elle tentera de s’adapter aux carences en énergie, en protéines et en minéraux en mobilisant ses réserves corporelles et en prolongeant la durée de gestation. Le fœtus, puis le poulain, sont également très sensibles à l’environnement maternel. Les perturbations du développement fœtal peuvent avoir d’importantes conséquences pour le poulain tout au long de sa vie.
Seuls les nutriments qui impactent particulièrement la gestation et le développement du fœtus sont évoqués ici. Bien entendu, toute carence ou excès peut amener à diverses problématiques chez un cheval, quel que soit son niveau d’activité et son stade physiologique. Le but de cet article est de sensibiliser les propriétaires et éleveurs à l’importance d’une nutrition optimale pendant la gestation et donner les clés pour y parvenir.
Quelques repères sur la gestation et le suivi du poids de la jument
Au cours des premiers mois de gestation, la croissance du fœtus est relativement lente. Après le 7ème mois de gestation, le fœtus se développe beaucoup plus rapidement et sa croissance devient prioritaire par rapport à la jument. Dès le 9ème mois, les besoins nutritionnels liés à la gestation augmentent drastiquement car c’est dans ce dernier trimestre que 75% de la croissance fœtale se produit.
Le développement du fœtus n’est pas linéaire tout au long de la gestation et demande donc une adaptation régulière de l’alimentation de la jument gestante.
En moyenne, une jument avec une note d’état corporel correct prendra 12 à 15% de son poids pendant la gestation, dont 10% au cours des 3 derniers mois. Le poids du poulain à la naissance est estimé entre 9 et 12% du poids de la jument non gestante (si le poulain est destiné à avoir plus ou moins le même poids que la jument). Le poids supplémentaire provient des autres produits de la conception (placenta, liquides, etc.) et du changement physiologique maternel. Ce qui signifie qu’une jument de 500kg qui entre en gestation avec un bon état corporel prendra en tout entre 60 et 75kg environ, et que son poulain pèsera à la naissance entre 45 et 60kg.
PARTIE 1 - Gestation et besoins énergétiques : Trouver le juste milieu
Les besoins énergétiques de la jument commencent à augmenter progressivement à partir du 5ème mois pour atteindre un pic au 11ème mois, mais ne varient pas drastiquement par rapport aux besoins de maintenance.
À titre de comparaison, les besoins en énergie d’un cheval au travail modéré sont plus élevés que ceux d’une jument au 11ème mois de gestation. En revanche, dès le début de la lactation, ces besoins augmentent de manière très marquée et deviennent beaucoup plus élevés que pendant la gestation.
Attention cependant, ces recommandations ne permettent pas l’accumulation de réserves de graisse pendant la gestation et s’appliquent donc aux juments qui entrent en milieu de gestation dans un état corporel correct, avec une note d’état corporel de 5/9. Les juments qui manquent d’état en début ou en milieu de gestation doivent recevoir un apport énergétique supplémentaire pour atteindre une note d’état corporel d’au moins 5/9 au 9ème mois de gestation. Un apport énergétique supplémentaire peut également être nécessaire pour répondre aux besoins d’entretien des juments qui vivent dans un environnement stressant pendant la gestation.’
Conséquences d’apports énergétiques excessifs
En début de gestation, l’obésité a déjà des effets importants sur le développement embryonnaire. Des études ont montré que les juments obèses présentent un environnement utérin modifié dès 16 jours après l’ovulation, ce qui se manifeste par une augmentation de l’expression des gènes liés aux cytokines inflammatoires, à la régulation des lipides et aux facteurs de croissance associés au stress mitochondrial. Les embryons issus de ces juments obèses montrent également des changements dans l’expression de gènes associés à l’inflammation, à l’homéostasie lipidique, et au stress oxydatif, entre 8 et 16 jours après l’ovulation.
La suralimentation en fin de gestation est courante, bien que l’appétit de la jument soit souvent réduit à ce stade. En effet, les besoins énergétiques liés à la gestation demeurent relativement faibles, tandis que la jument bénéficie d’un « anabolisme de gestation », une phase où son rendement alimentaire est considérablement amélioré grâce aux fortes sécrétions hormonales (œstrogènes et progestérone) qui favorisent l’anabolisme.
La jument en gestation est concernée par la règle des 2g maximum de sucres et amidon par kilogramme de poids vif par jour. Le placenta des juments nourries avec des rations – trop – riches en amidon montre des altérations vasculaires, réduisant l’efficacité du transfert des nutriments au fœtus. Les vaisseaux placentaires sont moins développés, limitant le flux sanguin et l’approvisionnement en nutriments. L’excès d’apports en énergie peut aussi provoquer un excès de poids chez la jument, avec des conséquences néfastes multiples et importantes : difficultés lors du poulinage et complications associées, naissance d’un poulain plus fragile ayant souffert lors du poulinage, etc.
Cette suralimentation peut aussi avoir des conséquences directes sur la santé du futur poulain. Une ration trop riche en amidon et autres glucides non-structuraux, peut perturber l’équilibre hormonal et affecter l’homéostasie du glucose et de la leptine chez le poulain, influençant son comportement alimentaire. À 6 mois, les poulains nés de juments suralimentées sont plus susceptibles de développer des lésions d’ostéochondrose, un trouble lié à une prolifération excessive des cellules cartilagineuses en raison de niveaux élevés d’insuline. Ce phénomène est corroboré par des études montrant que des juments produisant plus d’insuline en fin de gestation donnent naissance à des poulains davantage affectés par ce trouble.
De nombreuses pathologies, regroupées sous le nom de maladies orthopédiques du développement (DOD), peuvent affecter le système musculosquelettique des chevaux en croissance. L’ostéochondrose (OD) est une anomalie du mécanisme de différenciation et de maturation du cartilage, qui touche principalement le boulet, le jarret, l’épaule et le grasset. Cette pathologie altère le processus normal de formation des os qui remplace progressivement le cartilage par de la matière osseuse. Le cartilage se développe de manière irrégulière, créant des fragments qui peuvent se détacher et flotter dans l’articulation, on parle alors d’ostéochondrite disséquante (OCD).
L’insuline est une hormone anabolisante, c’est-à-dire qui favorise la construction et la croissance des tissus corporels. Lorsque l’insuline est présente en excès, comme c’est souvent le cas dans des situations de suralimentation (régimes riches en glucides ou concentrés), elle peut induire une prolifération excessive des cellules cartilagineuses et une croissance aberrante du cartilage dans les articulations. Cette prolifération excessive perturbe le processus normal de maturation du cartilage et son ossification, conduisant à des anomalies dans le développement de l’os, en particulier dans les articulations. Ces anomalies peuvent entraîner des lésions ostéochondrales, qui sont des dégradations ou des détachements du cartilage articulaire et de l’os sous-jacent.
Cela suggère que l’excès de sucres et amidon, qui stimule la production d’insuline, perturbe non seulement le bon fonctionnement du placenta, mais affecte également la santé du poulain sur le long terme.
Au début de la lactation, les besoins en énergie augmentent rapidement et sont bien plus élevés que pendant la gestation. En un à deux mois, ces besoins peuvent presque doubler. L’appétit de la jument peine à suivre ce rythme, surtout si elle a été trop nourrie à la fin de la gestation. Si son alimentation n’a pas été suffisamment progressive et adaptée, cela peut entraîner une perte de poids importante et un défaut de production laitière, impactant la croissance et la santé du poulain.
De plus, la qualité du colostrum, essentiel pour les défenses immunitaires du poulain, se dégrade également lorsque la jument est nourrie avec des quantités excessives de sucres et amidon. Des études ont mis en évidence une corrélation entre un colostrum de mauvaise qualité et l’ostéochondrose chez les poulains, bien qu’aucune explication n’ait encore été trouvée. Cette détérioration souligne l’importance de l’alimentation de la jument pendant la gestation pour le développement à long terme du poulain.
Un apport énergétique adapté au stade physiologique de la jument permet de maintenir son poids à un niveau optimal. Cela profite à la fois au développement du fœtus, à la production de lait et à la remise à la reproduction de la jument.
Conséquences d’apports énergétiques déficitaires
En général, un manque d’état modéré d’une jument en gestation n’affecte par le poids du poulain à la naissance. En effet, le placenta compense partiellement la sous-alimentation en modifiant son métabolisme : augmentation du volume des vaisseaux, utilisation de graisses et acides aminés pour l’énergie, etc. Ainsi, dès que le bilan énergétique est négatif, la jument mobilise ses réserves, permettant au poulain de naître avec un poids et une taille normale, mais au prix de perturbations dans le développement du poulain à long terme : retard de maturité testiculaire, altération du métabolisme de l’insuline, défauts de croissance osseuse et musculaire, etc.
Le manque d’état en fin de gestation affecte également la qualité du colostrum de la jument et sa production laitière ultérieure, réduisant l’immunité passive du poulain et son taux de croissance.
En début de lactation, l’augmentation très importante des besoins énergétiques liés à la production de lait peut rapidement mener à une sous-alimentation de la jument, d’autant plus que son niveau de consommation volontaire met du temps à s’adapter. Cette situation entraîne un amaigrissement, d’autant plus marqué que la jument était en embonpoint au moment du poulinage et que sa production laitière augmente rapidement et de manière significative.
PARTIE 2 – Couverture des besoins en protéines et accent sur leur qualité
La croissance fœtale est très lente au cours des premiers mois de gestation. À la fin du septième mois de grossesse, le fœtus n’a accumulé que 10% des protéines qu’il aura à la naissance. C’est dans le dernier trimestre de la gestation que le dépôt de protéines dans le fœtus augmente considérablement, lui permettant d’atteindre son poids de naissance. Comme le poids à la naissance dépend en grande partie de l’accumulation de protéines, il est essentiel que la jument gestante soit correctement nourrie pour assurer un apport suffisant en protéines au fœtus. En plus des besoins liés à la gestation, la jument a besoin de protéines supplémentaires pour ses propres fonctions corporelles. Un manque d’apports en protéines en fin de gestation, puis en début de lactation aura également une incidence négative sur la production laitière.
La qualité des protéines pendant la gestation, la lactation puis la croissance a un impact sur la santé à long terme des poulains. Il a été démontré que la modification de l’apport en protéines chez d’autres espèces affecte le comportement, la santé et la durée de vie de la progéniture. Étant donné que certains acides aminés peuvent influencer l’absorption et l’utilisation cellulaire d’autres, les protéines données à la jument gestante doivent être de bonne qualité, pour apporter tous les acides aminés essentiels. Parmi ces acides aminés, la lysine joue un rôle clé, car elle est considérée comme le premier acide aminé limitant. Ainsi, pour garantir une synthèse protéique optimale, il est particulièrement important de veiller à un apport suffisant en lysine, en plus de l’apport global en protéines.
L’acide aminé qui est présent en quantité la plus faible par rapport aux besoins nécessaires à la synthèse des protéines est appelé l’acide aminé limitant. Pour que la synthèse protéique se produise, tous les acides aminés doivent être présents dans des proportions spécifiques. Si l’un d’eux est fourni en quantité insuffisante par rapport à ce qui est requis, la synthèse protéique sera alors restreinte par la quantité disponible de cet acide aminé limitant. Ce concept est souvent illustré par l’analogie du tonneau : tout comme un tonneau ne peut être rempli que jusqu’à la hauteur de la planche la plus courte, la synthèse protéique ne peut se faire que dans la mesure où l’acide aminé limitant est disponible.
Les excès ou carences en micronutriments peuvent également avoir d’importantes répercussions sur la santé de la jument gestante et de son futur poulain. Même si elles ne sont pas spécifiquement détaillées ici, il est important de prendre en compter les interactions entre les minéraux et les oligo-éléments. Ces interactions, dues à des mécanismes biologiques compétitifs et autres, peuvent se produire à chaque étape de la digestion, de l’absorption à l’excrétion. Par exemple, le fer inhibe l’absorption du zinc, et le zinc celle du cuivre. D’autres interactions importantes incluent celles entre calcium, magnésium et phosphore.
PARTIE 3 – Besoins en calcium et en phosphore
Le calcium et le phosphore sont fortement impliqués dans le développement osseux et cartilagineux. Jusqu’au 6ème mois de gestation, les besoins en calcium sont égaux aux besoins en maintenance. Ils commencent à augmenter à partir du 7ème mois et atteignent un pic les 9ème, 10ème et 11ème mois pour répondre aux besoins accrus de croissance et de développement tissulaire du fœtus. Le 10ème mois de gestation est la période où le fœtus grandi le plus, d’où les importants besoins en calcium.
Les minéraux, en particulier le calcium, le phosphore et le magnésium, forment le complexe minéral dans l’os. La densité minérale osseuse, la teneur en cendres et en calcium dans l’os sous-chondral (situé directement sous le cartilage) et trabéculaire (partie interne poreuse et spongieuse des os) ont augmenté chez les chevaux jusqu’à 4 ans ce qui suggère qu’un apport inadéquat ou déséquilibré en minéraux pourrait affecter le développement et la résistance des os jusqu’à cet âge.
Un excès de calcium modéré peut ne pas avoir de conséquences néfastes, à condition que les apports en phosphore et donc le ratio phosphocalcique soit adapté. Lorsque les quantités de phosphore sont adéquates, mais pas excessives, la concentration maximale tolérable de calcium dans l’alimentation des chevaux a été fixée à 2% du régime alimentaire (NRC, 2005). Cependant, des travaux sur d’autres espèces ont montré que le calcium influence la sécrétion de gastrine ce qui indique qu’une quantité inutilement élevée de calcium alimentaire peut être impliquée dans les ulcères gastriques et devrait être évitée. Étant donné la prévalence des ulcères gastriques chez les poulains, il est également important d’ajuster la teneur en calcium de la ration des poulains en croissance.
À l’inverse, un apport insuffisant en calcium peut impacter le développement squelettique du fœtus et du futur poulain. Une étude a montré que lorsqu’une ration apporte moins de 20% des besoins recommandés en calcium, cela entraîne la naissance de poulains ayant des os plus fragiles. De plus, lorsque l’apport alimentaire est insuffisant, le corps puise dans ses réserves pour répondre aux besoins métaboliques. Les réserves étant principalement situées dans les os, cela peut entrainer un affaiblissement du squelette de la jument.
Les besoins en phosphore augmentent fort à partir du 9ème mois de gestation. Les fourrages et les rations alimentaires sont plus souvent déficitaires en phosphore que l’inverse. Bien que l’impact du rapport phospho-calcique pendant la gestation et la lactation n’ait pas été spécifiquement étudié, il pourrait affecter négativement le développement osseux et articulaire des poulains.
PARTIE 4 – Couverture optimale des besoins en cuivre de la jument : prévention des troubles orthopédiques chez le poulain.
La carence en cuivre peut être problématique pour la jument car, si elle est chronique (prolongée et permanente) elle est liée à la rupture de l’artère utérine.
Des études ont démontré que le cuivre est important pour prévenir les maladies orthopédiques du développement chez les poulains, étant donné son rôle dans la synthèse du tissu conjonctif (lysyl oxydase). La couverture des besoins optimaux en cuivre de la jument réduit le risque de DOD chez les poulains, mais la supplémentation au-delà des besoins ne diminue pas toujours l’incidence des lésions d’ostéochondrose chez les poulains.
Bien que certaines lésions osseuses ou cartilagineuses présentes dès la naissance puissent régresser grâce à une supplémentation en cuivre du poulain, elles ne disparaissent pas complètement durant les premiers mois de vie. Assurer un apport en cuivre adéquat à la jument pendant sa gestation reste donc la méthode la plus efficace pour prévenir les troubles orthopédiques du poulain. Il convient également de noter que les anomalies ostéochondrales sont moins susceptibles de régresser après une certaine période. L’âge de « non-retour » est estimé à environ 5 mois pour le jarret et entre 8 et 12 mois pour le grasset, après quoi les lésions peuvent devenir plus difficiles à traiter.
Une supplémentation adéquate en cuivre durant les 3 derniers mois de gestation permettra également d’augmenter le stockage hépatique du cuivre du futur poulain. Le lait de la jument étant naturellement carencé en cuivre, le poulain doit donc naitre avec un stock hépatique suffisant pour assurer ses besoins de croissance. Supplémenter la jument allaitante en cuivre ne permet pas d’augmenter les concentrations en cuivre du lait. C’est donc une fois de plus l’équilibre minéral de la ration et l’absence de carences des juments gestantes qui a une influence importante sur le développement de lésions d’ostéochondrose chez le poulain.
PARTIE 5 – L’iode, important pour la fonction thyroïdienne du futur poulain
L’iode est essentiel à la production des hormones thyroïdiennes, qui influencent de nombreuses fonctions corporelles. La supplémentation en iode est souvent recommandée, notamment dans les régions où les sols sont déficients en iode.
En cas de carence, la production d’hormones thyroïdiennes est perturbée (hypothyroïdie), ce qui provoque une hypertrophie de la glande thyroïde, appelée goitre, car celle-ci tente de compenser en capturant plus d’iode. Les carences, qu’elles soient primaires ou secondaires, affectent particulièrement le fœtus, dont la thyroïde nécessite jusqu’à cinq fois plus d’iode que celle de la jument en fin de gestation. Cela peut entraîner des avortements, des poulains avec des goitres thyroïdiens, et une forte mortalité néonatale.
De manière paradoxale, un excès d’iode peut aussi provoquer des problèmes, car il inhibe la synthèse des hormones thyroïdiennes. Les poulains nés de juments ayant un apport trop faible ou trop élevé en iode peuvent présenter des anomalies de croissance et une faiblesse générale.
PARTIE 6 – Couvrir les besoins en sélénium de la jument pour constituer les réserves du poulain
Bien que les besoins en sélénium pendant la gestation ne diffèrent pas de ceux des chevaux à l’entretien, il est important de s’assurer que ces besoins soient couverts. Le sélénium est un antioxydant très puissant, il est donc particulièrement important en fin de gestation, lorsque l’activité métabolique de la jument est à son maximum.
Le sélénium est essentiel pour le bon développement du poulain. Le colostrum en contient peu, le poulain constitue donc une grande partie de ces réserves pendant la gestation, via le transfert placentaire. Une supplémentation quotidienne en sélénium organique (pour assurer la couverture des besoins optimaux) du 7ème mois de gestation à la mise bas est suffisante pour assurer une teneur adéquate en sélénium dans le sang et les muscles du poulain jusqu’à l’âge de 2 mois. Une carence trop importante en sélénium durant la gestation est reliée à la maladie du muscle blanc à la naissance, une pathologie myodégénérative, affectant les muscles squelettiques et cardiaques, qui conduit à la mort du poulain dans la plupart des cas.
Attention cependant, une attention particulière doit être portée à l’excès de sélénium, car la plage optimale est très étroite et le niveau de toxicité proche des quantités recommandées. Quand c’est possible, l’analyse de fourrage est donc particulièrement utile pour connaitre exactement la quantité de sélénium consommée par les chevaux.
PARTIE 7 – Les vitamines : des besoins infimes à ne pas négliger
La cinétique d’augmentation des besoins en vitamine A traduit son importance au cours de la gestation. Dès les premières phases du développement embryonnaire, elle est essentielle pour la formation et la différenciation cellulaire. Elle est également importante pour préserver l’intégrité des épithéliums de l’utérus, et de l’embryon puis du fœtus. Une carence en vitamine A pendant la gestation peut entraîner des malformations congénitales, particulièrement au niveau des yeux, du cœur et du système nerveux du poulain. Une carence peut également augmenter le risque de rétention placentaire.
Pour son rôle dans la régulation du métabolisme phosphocalcique, la couverture des besoins en vitamine D de la jument gestante est absolument primordiale. Les apports en vitamine D conditionnent à la fois le développement osseux du fœtus, et le soutien du capital osseux de la jument. La carence en vitamine D peut aussi affecter la croissance à long terme du poulain car elle peut être associée à des risques accrus de troubles métaboliques.
La vitamine E est un antioxydant essentiel dans l’alimentation des chevaux, jouant également un rôle crucial dans le soutien du système immunitaire. Même si quantitativement, les besoins en vitamine E sont faibles par rapport à ceux en vitamines A et D, ils n’en demeurent pas moins importants, d’autant plus qu’ils augmentent drastiquement lors de la gestation puis de la lactation. Assurer un apport suffisant en vitamine E pendant la gestation permet d’améliorer le transfert passif d’immunité au poulain à travers le colostrum. Couplée à une supplémentation en sélénium en fin de gestation, la vitamine E permet également de réduire le temps de rétention placentaire.
La supplémentation en vitamines du groupe B peut être intéressante car une carence peut également affecter le développement du fœtus ainsi que sa croissance à long terme.
PARTIE 8 - Rationnement en pratique : prendre en compte l’évolution des besoins en énergie et en protéines, sans tomber dans l’excès
Ajuster les apports en énergie et en protéines
Les derniers mois de gestation se déroulent en général l’hiver ou en tout début de printemps, lorsque l’accès à l’herbe fraîche est limité. Même si les besoins énergétiques augmentent peu et de façon progressive, il faut prendre en compte que plus on avance dans la gestation, et plus la consommation volontaire de fourrages tend à baisser en raison de l’encombrement abdominal par la masse utérine.
Les besoins en énergie et en protéines devront être couverts autant que possible par des fourrages. Lorsque cela ne suffira plus (car la capacité d’ingestion sera trop faible ou que la qualité du fourrage ne sera pas suffisante), il sera nécessaire d’augmenter la densité énergétique de la ration avec un aliment.
Le choix d’un aliment doit se faire en fonction de ses apports énergétiques et protéiques. Même si les sucres et l’amidon sont la source d’énergie la plus exploitée, les lipides peuvent être une alternative de choix pour augmenter la densité énergétique de la ration, sans tomber dans l’excès de sucres et d’amidon. C’est d’autant plus vrai lorsqu’on construit la ration de la jument en toute fin de gestation/début de lactation. En effet, la composition en acides gras de la ration de la jument peut influencer celle du lait. Lorsque de l’acide linoléique est ajouté à la ration de la jument via des huiles végétales par exemple, sa teneur dans le lait augmente. L’acide linoléique étant un précurseur des prostaglandines, il joue un rôle dans la prévention des ulcères gastriques en renforçant les mécanismes de protection des muqueuses. Étant donné la prévalence des ulcères gastriques chez les poulains, cette prévention est essentielle tant sur le plan clinique que pour la production. Attention toutefois, si l’apport en énergie est assuré par une part importante de lipides, alors l’apport en vitamine E devra être augmenté (1 UI/g de MG).
Puisque ce sont surtout les besoins en protéines qui augmentent durant la gestation, c’est surtout à eux qu’il faut s’intéresser. En plus de la quantité de protéines, il faut également considérer leur qualité. La qualité d’une protéine dépend de sa composition en acides aminés, et notamment en lysine. Les besoins en lysine pendant la gestation sont estimés à 4,3% du besoin en protéines brutes. Toutes les sources de protéines ne se valent pas. En général, les céréales sont plutôt pauvres en lysine par rapport aux légumineuses.
Couvrir les besoins en minéraux, oligo-éléments et vitamines et équilibrer les ratios
Comme pour les autres chevaux, quel que soit leur stade physiologique, les besoins en minéraux, oligo-éléments et vitamines, qui ne peuvent pas être couverts de façon optimale par le fourrage et l’aliment doivent l’être autrement. En effet, même pour un cheval en maintenance, les besoins en phosphore, magnésium, soufre, cuivre, zinc, sélénium et iode sont rarement couverts par les fourrages et les ratios nécessitent d’être équilibrés. Pour la jument en gestation, qui voit ses besoins augmenter, il est donc important d’envisager une complémentation adaptée.
Qu’en est-il des aliments complets élevage ou spécial gestation ?
Prenons l’exemple d’un aliment comme celui-ci, semblable aux aliments élevage ou spécial gestation qu’on trouve sur le marché.
Exemple 1 – Jument de 500kg en début de gestation (avant le 5ème mois), avec une ration basée sur les fourrages :
Avant le 5 ème mois de gestation, les besoins en gestation sont les mêmes qu’en maintenance moyenne. La jument est alors capable de consommer suffisamment de fourrages (herbe ou foin) pour couvrir ses besoins en énergie et en protéines. En revanche, du côté des minéraux et oligo-éléments, certains besoins ne sont pas couverts. C’est généralement le cas du phosphore, du cuivre, du zinc, du sélénium et de l’iode (sauf exceptions ou localisations particulières). Les ratios
d’assimilation (Ca/P et Ca/Mg) ne sont pas équilibrés. Pour ce qui est des vitamines, les besoins en vitamine A, D et E peuvent être couverts à l’herbe, mais plus difficilement au foin, il faut donc les couvrir par ailleurs.
À ce stade de gestation, si la jument à accès à des fourrages de bonne qualité (herbe ou foin) et en quantités adaptées, un aliment n’est pas forcément nécessaire car les besoins en énergie et en protéines sont couverts. En revanche, les apports en minéraux, oligo-éléments et vitamines doivent être ajustés.
Exemple 2 – Jument de 500kg au 6ème mois de gestation, avec une ration basée sur les fourrages et un aliment complet :
Autour du 6ème mois de gestation, les besoins en énergie et protéines augmentent un peu. Même si la jument est généralement toujours capable de consommer suffisamment de fourrages (herbe ou foin) pour couvrir ses besoins en énergie et en protéines, il peut parfois être tentant de commencer à introduire un aliment. Ici, même avec 1L d’aliment et une quantité de foin qui permettent de couvrir parfaitement les besoins en énergie et protéines, les besoins en minéraux, oligo-éléments et vitamines ne sont toujours pas couverts et équilibrés. En revanche, cette petite quantité d’aliment ajoutée peut parfois être suffisante pour entraîner un gain de poids excessif chez la jument, ce qui pourrait nuire au bon déroulement de la gestation.
Une fois encore, si la jument à accès à des fourrages de bonne qualité (herbe ou foin) et en quantités adaptées, un aliment n’est pas forcément indiqué à ce moment-là de la gestation. En revanche, les apports en minéraux, oligo-éléments et vitamines doivent être ajustés par ailleurs.
Exemple 3 – Jument de 500kg au 11ème mois de gestation, avec une ration basée sur les fourrages et un aliment complet du commerce :
Au 11ème mois de gestation, les besoins en énergie et protéines sont élevés. Les besoins en énergie et en protéines ne sont pas toujours couverts par les fourrages seuls. Ici, l’apport de 2L d’aliment permet de le faire. En revanche, le constat est toujours le même pour les minéraux, oligo-éléments et vitamines.
En fin de gestation, il est plutôt courant et souvent justifié d’apporter une quantité d’aliment à la jument gestante. En revanche, malgré ça, les apports en minéraux, oligo-éléments et vitamines doivent être ajustés.
EN CONCLUSION
Que ce soit en défaut ou en excès, des apports énergétiques non adaptés au stade physiologique de la jument gestante ont des répercussions significatives sur la santé et le développement du futur poulain, entrainant surtout des perturbations du métabolisme des sucres et des lésions ostéochondrales. Au cours des premiers mois, il est donc recommandé de nourrir la jument gestante comme si elle ne l’était pas encore.
Si l’apport en minéraux et oligo-éléments a été insuffisant en fin de gestation, il est difficile de rattraper cette carence pendant la lactation en supplémentant la jument. La complémentation minérale affecte peu la qualité minérale du lait. En revanche, la jument, elle, ne pourra pas puiser indéfiniment dans ses réserves sans en subir les conséquences. Les apports en oligo-éléments doivent donc être adaptés pour permettre au fœtus de constituer ses réserves en fer, cuivre, zinc et manganèse pour maintenir la croissance pendant ses premiers mois de vie, lorsque les apports via le lait de la jument seront insuffisants. Une supplémentation de la jument reste donc essentielle pour préserver sa santé à long terme.
Il est important d’anticiper la transition alimentaire dès la fin de la gestation pour adapter l’alimentation à la lactation et favoriser la production de lait de qualité, riche en nutriments.
Selon la race et le métabolisme de la jument, il pourra être nécessaire d’intégrer un aliment en complément des fourrages plus ou moins tôt dans la gestation. En revanche, tout au long de celle-ci, il est nécessaire d’ajuster les apports en minéraux, oligo- éléments et vitamines afin que les besoins soient couverts et les apports équilibrés.
En plus de la qualité nutritionnelle, la qualité sanitaire des fourrages donnés à une jument gestante est particulièrement importante. Une intoxication aux mycotoxines peut avoir des impacts sur la santé de la jument, mais également sur le développement et le bon déroulement de la gestation.
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